Derrière lécran, un « nouvel Hitler »?(1ère)
Par Xiong Peiyun
La télévision est le premier pouvoir
en France, et non le quatrième.[1]
Valéry Giscard d'Estaing
La télévision a progressivement envahi nos vies, transformant sur toute la planète l'homme en spectateur enchaîné à son écran. Les gens sont toujours en discussions, comme « Faire de la télévision, c'est comme faire de la politique: chaque matin, nous sommes sanctionnés par le verdict des sondages d'audience. »[2](Carlo Freccero), « La télévision est une invention qui vous permet de faire entrer dans votre salon des gens que vous n'aimeriez pas recevoir chez vous. »( David Frost), « La télévision, c'est le gouvernement dans la salle à manger de chaque Français. »(Alain Peyrefitte), etc.
Comme le reprochait Etienne Barilier, « La télévision règne sur nos vies comme un phénomène naturel, et chaque soir nous confondons avec une tranquille hébétude vingt-quatre heures de la vie du monde avec la demi-heure du télé-journal. Chaque soir nous prenons le chapeau de Gorbatchev pour la réalité de lUnion soviétique, une explosion dobus pour la réalité du Liban, la mis en scène du sang et des larmes humaines pour la réalité humaine. Et pourtant chaque soir nous quittons notre poste avec un sentiment qui ne trompe pas: le sentiment du vide, la réalité nétait pas là. » [3]
La télévision pour quoi faire? La télévision a-t-elle acquis un pouvoir trop étendu dans notre démocratie? Telle est la question à laquelle tente de répondre de grands penseurs contemporains, dont le philosophe viennois Karl Popper. Dans lintroduction de «La télévision: un danger pour la démocratie », Giancarlo Bosetti, codirecteur du quotidien italien LUnità, nous raconte son entretien avec Karl Popper, à travers lequel Popper nous dit que « Nous éduquons nos enfants à la violence par la télévision et par les autres moyens de communications. A cette occasion jai dit, et je le pense encore, que nous avons malheureusement besoin de la censure. »[4]
Karl Popper, peu de temps avant de mourir avait publié ce petit essai. Comme la dit Giancarlo Bosetti, « le théoricien de la société ouverte, lun des interprètes majeurs de la pensée libérale, voulait en fait lancer un vibrant cri dalarme. » La proposition de Popper a été reprise par Pierre Bourdieu lors d'un colloque de juin 1996 et ensuite, de « sur la télévision », en luttant contre la manipulation de la liberté de pensée.
Le libéralisme a créé ce que Popper appelle une société ouverte, c'est à dire une société fondée sur des principes abstraits et reliant des individus égaux en droit. Historiquement, contre les abus des pouvoirs, la presse et les médias ont été, pendant de longues décennies, dans le cadre démocratique, un recours des citoyens. Les trois pouvoirs traditionnels - législatif, exécutif et judiciaire - peuvent faillir, se méprendre et commettre des erreurs. Il est beaucoup plus fréquemment dans les Etats autoritaires et dictatoriaux, où le pouvoir politique demeure le responsable central de toutes les violations des droits humains et de toutes les censures contre les libertés. En même temps, aux yeux de Popper, labus de liberté des médias est en train de saboter nos civilisations. Comme la souligné Ignacio Ramonet[5], les pays démocratiques aussi, de graves abus peuvent être commis, bien que les lois soient votées démocratiquement, que les gouvernements résultent du suffrage universel, et que la justice-en théorie-soit indépendante de lexécutif. Sans quoi, « Comment oublier laffaire Dreyfus en France ? »
Ce qui est plus grave aujourdhui, cest que depuis une quinzaine dannées, à mesure que saccélérait la mondialisation libérale et la commercialisation, ce « quatrième pouvoir » a été vidé de son sens, il a perdu peu à peu sa fonction essentielle de contre-pouvoir et de corriger les erreurs de la société. Pour Popper, la télévision est devenue une pouvoir sans contrôle et « un nouvel Hitler disposerait avec elle dun pouvoir sans limites. »
La liberté des médias nest quune délégation de la liberté dexpression collective, fondement de la démocratie. Pour mieux comprendre la position de Popper sur la télévision et sa philosophie de liberté, nous essayons ici danalyser les deux livres de Popper, dont « La leçon de ce siècle»(1993) et « La télévision: Un danger pour la démocratie »(1995). En faisant, nous croyons quil est urgent de créer « le cinquième pouvoir » à grande échelle pour contrôler labus des médias, au nom de la responsabilité éducative des médias, chère à Popper, et de la liberté réelle et durable.
La théorie de « correction » chez Karl Popper
Karl Raimund Popper, apôtre du libéralisme en politique du XXe siècle, est né en 1902 à Vienne en Autriche dans une famille juive convertie au protestantisme. Tout en travaillant d'abord comme apprenti auprès d'un maître ébéniste ensuite comme bénévole auprès d'enfants abandonnés, il fréquente longuement et assidûment l'Université de Vienne. En 1928 il soutient sa thèse de doctorat en philosophie puis devient enseignant de mathématique et de physique d'abord au collège puis au lycée. Il est sans doute le dernier à incarner le type de philosophe capable d'embrasser dans une même réflexion la culture dans toute son ampleur. Il est lauteur dune formule très significative, dont il a fait le titre dun livre quil considérait comme une contribution à leffort de guerre contre les nazis: La société ouverte et ses ennemis(1945), qui est un ouvrage de philosophie politique: plaidoyer pour la démocratie, contre le totalitarisme de droite ou de gauche.
A la société close et immuable à base de tribalisme et de magie, l'auteur oppose la société ouverte, contrôlée par la raison, où la, volonté de l'individu peut librement s'exercer. A Platon, à Hegel, à Marx, il reproche de ne reconnaître l'histoire que pour ajouter qu'elle obéit à des lois qui déterminent le cours des événements, idée qui paralyse le progrès, en le soumettant à la fatalité historique.
En application de ses idées épistémologiques, Popper développe une réflexion sur la société et soutient que toute vie, comme toute connaissance, est essentiellement résolution de problème. De même, tout progrès en matière de connaissance résulte du jeu de lessai et de lerreur. Il incite chacun à prendre en main sa vie individuelle et collective. Il ne sagit pas de fuir les problèmes et de fuir lerreur. Il faut rechercher les problèmes et être vigilant dans la correction de lerreur. Il est de la responsabilité de chacun de tenter daborder et de résoudre les problèmes individuels et collectifs avec courage et hardiesse. Lerreur nest pas lennemi. Il est contre lutopie, selon lui, « Nous devons nous évertuer à réduire les conflits, mais non pas à les supprimer. Leur existence même est essentielle à la société ouverte. » Dune certaine façon, lerreur est le levier même du progrès. La lucidité nest rien dautre que la correction courageuse de lerreur. Popper soutient que l'homme peut forger son destin collectif en s'appuyant sur l'expérimentation et en procédant au coup par coup, pour progresser en éliminant les erreurs.
Popper soutient aussi que les institutions sont les chiens de garde de la démocratie, donc du bien commun et collectif. Mais en dernier ressort, fait-il remarquer, ce sont les citoyens et leur esprit critique qui sont les chiens de garde des institutions et, en fin de compte, de la démocratie.
La civilisation, comme la science, ne peut progresser que dans une société ouverte où la critique circule librement. Cest la critique ouverte, publique, qui est la meilleure garantie de lidentification des problèmes et la correction de lerreur. Il y a progrès en science quand une vieille théorie meurt. Or, ce sont les problèmes qui tuent les vieilles théories. Ce sont donc, dune certaine façon, les problèmes qui nous font progresser.
Au plan politique, Popper critique l'historicisme[6]. A ses yeux, il n'y a pas de lois générales du développement historique qui rendraient le cours de l'histoire inévitable et prévisible. L'histoire n'a pas de sens.
Popper naurait certainement pas agréé la thèse développée par F. Fukuyama selon laquelle la démocratie naurait plus aujourdhui de rival déclaré et représenterait, par conséquent, la « fin de lhistoire ». Pour Popper, même lorsquon lassocie à la vulgate démocratique, lhistoricisme est logiquement et politiquement intenable. Il est, au contraire, dans la nature dune société ouverte davoir des « ennemis » et de ne jamais être définitivement cuirassée contre la barbarie. « Lhistoricisme est une erreur de bout en bout. Lhistoriciste voit lhistoire comme une sorte de cours deau, comme un fleuve qui coule, et il se croit capable de prévoir où passera leau. [
] On peut étudier lhistoire autant quon le veut, mais cette idée du fleuve nest rien de plus quune métaphore et na rien à voir avec la réalité. On peut étudier ce qui a été, mais ce qui a été est terminé, et à partir de là, nous ne sommes pas en mesure de prévoir quoi que ce soit, de suivre le courant; Nous devons simplement agir et tâcher de rendre les choses meilleures. »[7]
Ce qui est important pour lui, cest la « responsabilité ». Dans un essai intitulé « Liberté et responsabilité intellectuelle »(1989), Popper souligne que « Lavenir est très ouvert, et il dépend de nous, de nous tous. Il dépend de ce que vous, moi, et beaucoup dautres hommes font et feront, aujourdhui, demain et après-demain. Et ce que nous faisons et ce que nous ferons dépend à son tour de notre pensée et de nos désirs, de nos espoirs et de nos craintes, autrement dit, de notre vision du monde et du jugement que nous portons sur les possibilités largement ouvertes que nous offre lavenir. » En même temps, nous devons prendre conscience de la vérité suivante: nous ne savons rien. A la fin du texte, Popper indique que « Nous devons tâter le terrain avec prudence, comme le font les chenilles, et chercher la vérité en toute modestie. Nous devons cesser de vouloir jouer les prophètes omniscients. Ce qui veut dire que nous devons changer ».
Enfants perdus
Dans « Enfants sans enfance », Marie Winn sinquiète de la situation des enfants, le temps libre des enfants a été annexé par la télévision: cest un temps prisonnier. Et lenfance sécoule trop souvent sans projets, sans les événements qui font une enfance où lon puisera plus tard les souvenirs les plus précieux. Les seuls souvenirs seront des séries télévisuelles. De même, après avoir publié de nombreuses études sur le rapport enfant-télévision, Liliane Lurçat lindique, le temps libre des enfants est passé sous le contrôle de la télévision : cest devenu le temps prisonnier. Le « petit écran », en initiant brutalement les plus jeunes aux aspects les plus barbares des rapports entre les hommes, risque de déposséder les enfants de leur enfance.
En analysant leffet pernicieux de la télévision sur l'enfant, John Condry est pessimiste: « Aujourdhui, il y a quelque chose de profondément inquiétant dans la façon dont les enfants américains grandissent [
] les enfants, tout en samusant de cet aspect divertissant de la télévision, ont beaucoup de mal à faire la différence entre la réalité et la fiction, en raison de la compréhension limitée quils ont du monde. [
] La télévision est une voleuse de temps». [8]
Pour Condry, lune des fonctions premières de léducation, à la maison comme à lécole, est de montrer combien le passé et lavenir sont liés, comment le présent découle des événements passés, et comment lavenir se rattache à lun et à lautre. Mais au contraire, « La télévision vit dans le présent; elle ne respecte pas le passé et montre peu dintérêt pour le futur. En encourageant les enfants à vivre coupés du passé et de lavenir, la télévision a une influence désastreuse. » En plus, « A la télévision, cest la richesse qui est la clé du bonheur ; on y admire des gens riches qui vivent dans des demeures splendides et se promènent dans des limousines rutilantes. [
] Les valeurs finales qui prônaient légoïsme ou légocentrisme (telles que le bonheur personnel, une vie intéressante, la reconnaissance sociale) étaient citées beaucoup plus souvent que des valeurs altruistes comme légalité ou lamitié. » En même temps, « une conduite est jugée morale ou immorale selon quelle est le fait dun personnage quon admire ou quon aime, ou bien dun personnage antipathique et dont on se méfie. Ainsi des actions qui, en temps normal, seraient perçues comme immorales chantage, homicide, cambriolage, etc.deviennent acceptables si elles sont accomplies par quelquun qui jouit de la sympathie du public. » Autrement dit, Il semble que les gens utilisent différentes échelles de moralité selon que les personnages leur sont familiers ou non. Dans la télévision, nous dit Condry, il y a les bons et il y a les méchants ; les bons ne peuvent pas faire le mal ; les méchants ne peuvent pas faire le bien. Cest la vision morale dun enfant de cinq ans. Comme la dit Krzysztof Kieslowski, « L'industrie de la télévision n'aime pas voir la complexité du monde. Elle préfère les idées et les concepts simples: c'est blanc, c'est noir ; c'est bon, c'est mauvais. » Dans ce cas-là, Condry indique que la télévision noffre aucun système cohérent de valeurs, son système de valeurs ne sert quà la consommation. Pour cela, la télévision utilise la violence pour capter lattention, et elle va continuer à le faire, malgré la réprobation de lopinion publique. Sa fonction commerciale apparaît dans tout ce quelle fait. Elle nest pas capable denseigner aux enfants ce qui leur est nécessaire pour devenir adulte. Essentiellement, elle nest quun instrument publicitaire.
Les psychologues offrent des synthèses utiles, témoignent des dommages quinflige à la société une expansion incontrôlée du pouvoir de la télévision: quil sagisse du temps gaspillé, de linfluence néfaste quelle exerce sur les comportements, de la concurrence quelle instaure avec la famille et avec lécole, de la distorsion du débat public, de linflation démesurée des mythes et de la « vedettisation ». « La télé, ce chewing-gum de l'il, a multiplié les crétins... Le problème est que les crétins ont beau avoir toujours existé, avec la télévision, ils se sont multipliés. »[9] Mais, comme la dit Philippe Geluck, « La violence à la télévision, ça donne envie de tout casser. Sauf, hélas, la télévision. »[10]
En plus, Comme le dit Brigitte Le Grignou: la politique télévisée, qui guide recherches et « lectures », réside dans la rencontre entre un langage politique, souvent suspecté de chercher « plus à agir quà exprimer des idées » et un médium de masse, toujours soupçonné de manipulation, Schudson fait ainsi remarquer que «leffet de troisième personne », qui consiste à croire que seuls les autres sont fascinés par les médias de masse, est particulièrement approprié au genre politique, produit, diffusé, filtré par des spécialistes. Le pouvoir des médias résiderait moins alors dans un effet direct sur le grand public que dans la certitude des experts et des décideurs que le grand public est influencé par médias de masse[11]. En ce sens, on pourrait dire que les téléspectateurs, dont les adultes et les enfants, sont toujours passifs.
La « responsabilité éducative » de la télévision
Lanalyse de Popper jette un éclairage particulièrement riche sur sa propre conception dune éducation civique. Comme le dit Giancarlo Bosetti, interlocuteur de Popper, il nest pas inutile de rappeler que Popper nest pas seulement un philosophe ou un épistémologiste. Il fut éducateur pendant toute une période de son existence[12]. De même, « Popper travailla au contact de ces enfants (à Vienne) dans le cadre des recherches
»[13].
En analysant la violence à la télévision, Popper tient à prendre une position simple et nette sur les rapports psychologiques qui existent entre les enfants et la télévision. Lenfant qui naît à la vie, comme nimporte quel autre organisme humain, ressent un « besoin de régularité ». On ne peut espérer quil devienne un jour un citoyen avisé sil ne bénéficie pas dun environnement stable qui lui fournisse des repères et lui montre le chemin. C'est-à-dire quune société démocratique a le devoir déduquer ses jeunes aux idéaux de liberté, de responsabilité et de solidarité. « Pour ce qui est des rapports entre les enfants et la télévision, nous nous trouvons face à un problème dévolution: quand les enfants viennent au monde, ils doivent accomplir une tâche difficile, celle de sadapter à leur environnement. »
Comme nous lavons dit plus haut, pour Condry, psychologue américain, « la télévision est incapable denseigner aux enfants ce qui est nécessaire à leur éducation. » Par contre, Popper souligne que la télévision, dont linfluence peut être terriblement nocive, pourrait être un formidable outil déducation. Elle pourrait lêtre, mais il est assez peu probable quelle le deviendra, car en faire une instance culturelle bénéfique représente une tâche particulièrement ardue. Difficile de trouver des personnes capables de produire chaque jour pendant vingt heures consécutives des émissions de valeur; facile de trouver des personnes capables de produire chaque jour vingt heures démissions médiocres
De plus, plus les chaînes sont nombreuses plus il est difficile de trouver des professionnels vraiment capables de produire des émissions à la fois attrayantes et dune bonne qualité.
Aux yeux de Popper, lévolution mentale des enfants dépend largement de leur environnement, et ce que nous appelons léducation, cest tout simplement le moyen dont nous nous servons pour agir sur ce milieu, afin de rendre celui-ci favorable à leur développement. Cest la raison pour laquelle nous avons la responsabilité de mettre en place le meilleur environnement possible. Malheureusement, la télévision moderne ruine méthodiquement les cadres traditionnels de lexpérience initiale.
Popper nous dit, il y a une difficulté fondamentale, interne, qui est à lorigine de la dégradation de la télévision. La violence, le sexe, le sensationnel, sont les moyens auxquels les producteurs de télévision recourent le plus facilement: cest une recette sûre, toujours apte à séduire le public. Et si celui-ci vient à sen lasser, il suffit daugmenter la dose. On en arrive à des actes criminels qui se disent inspirés par la télévision. Sans doute, la télévision fait-elle partie de lenvironnement des enfants. Aujourdhui la violence sest emparée des écrans de télévisions, et cest là que les enfants la contemplent, jour après jour, pendant des heures. La télévision produit de la violence et introduit celle-ci dans des foyers qui autrement ne la connaîtraient pas.
« Si nous éduquons nos enfants à la violence, cette situation ne cessera dempirer »[14]. Il ne manque pourtant pas de spécialistes de léducation susceptibles de déterminer ce qui est bon ou mauvais du point de vue de léducation. Les deux raisons de la médiocrité: la difficulté quil y a à faire de la qualité + les mécanismes de concurrence entre les chaînes. Pourquoi sont-elles en concurrence? Cest de toute évidence pour accaparer les téléspectateurs, et non à des fins éducatives. Elles ne rivalisent certainement pas pour produire des émissions de haute qualité et de portée morale, qui inculqueraient aux enfants une certaine éthique. Cest là le point important et délicat, parce quon ne peut enseigner une certaine éthique aux enfants quen leur offrant un environnement sain et intéressant et en leur présentant des exemples édifiants.
Tel que le voit Popper, largument « il faut offrir aux gens ce quils demandent » est une mauvaise excuse pour les producteurs de télévision, qui supposent que lon puisse savoir ce que les gens veulent en sappuyant sur les statistiques de laudimat. Tout ce que lon peut recueillir, éventuellement, ce sont des indications sur les préférences des téléspectateurs devant les spectacles qui leur sont offerts. Ces chiffres sont bien incapables de nous dire ce que nous devons ou pouvons proposer, et ce directeur de chaîne ne peut pas non plus savoir quels choix feraient les téléspectateurs devant dautres propositions que les siennes. Cet argument fallacieux nest en rien conforme aux principes de la démocratie. « La démocratie, je lai expliqué ailleurs, nest rien dautre quun système de protection contre la dictature, et rien à lintérieur de la démocratie ninterdit aux personnes les plus instruites de communiquer leur savoir à celles qui le sont moins».
Du début jusquà la fin, la pensée poppérienne sest articulée autour dune éthique de la responsabilité. Les meilleures institutions, les procédures les plus subtiles ny feront rien si leurs habitants et leurs utilisateurs ont, de fait, renoncé à leur devoir de citoyenneté. Une société ouverte est une société qui ne cherche pas à dérober à ses membres leur responsabilité personnelle, mais qui, au contraire, les met en mesure de lexercer sereinement et activement.
En critiquant le totalitarisme, Popper souligne limportance de la responsabilité: « le marxisme a été une erreur pratiquement dès le début, parce que dès le début, lidée marxisme consistait à chercher lennemi, et non les amis qui peuvent aider à apporter une solution aux problèmes de lhumanité. Par exemple, nous sommes intéressés par lidée de coopérer afin daider les gens, pour que le genre humain trouve de bonnes solutions à ses problèmes essentiels. Malheureusement, Marx, lui, était en quête de lennemi à abattre, et il a inventé le capitalisme comme ennemi à tuer. Essentiellement, cest la haine au lieu de la responsabilité. »
Notes
[1] Extrait de lémission TV Face à la 3 - 7 novembre 1984
[2] Extrait du magazine Télérama - 14 octobre 1987
[3] Voir « Un monde irréel », Etienne Barilier.
[4] « La leçon de ce siècle» et «La télévision: un danger pour la démocratie», Karl Popper
[5] Voir « Le cinquième pouvoir », Ignacio Ramonet, le Monde Diplomatique, octobre 2003, Pages 1 et 26
[6] Voir « Misère de l'historicisme » (1944-1945), Karl Popper
[7] Voir « La leçon de ce siècle», Karl Popper
[8] Voir « La télévision: un danger pour la démocratie », Karl Popper
[9] Extrait du journal V.S.D, René de Obaldia
[10] Extrait de la bande dessinée, Le chat à Malibu
[11] Voir « Du côté du public: Usages et Réceptions de la télévision », Brigitte Le Grignou
[12] Voir l « Introduction » de « La télévision: un danger pour la démocratie »
[13] Popper sest occupé denfants à Vienne, entre 1918 et 1937, avant de quitter son pays.
[14] Voir « La télévision: un danger pour la démocratie », Karl Popper